Destructions abusives de favelas, le visage caché de la Coupe du Monde de foot 2014 et des JO 2016


Cet aspect de la préparation des deux évènements sportifs mondiaux que sont la Coupe du Monde de Football et les Jeux Olympiques est très largement passé sous silence. Les médias brésiliens s’y intéressent très peu, laissant ainsi libre court aux pouvoirs publics d’expulser abusivement des milliers d’habitants pour les reloger dans la banlieue lointaine de Rio de Janeiro.

Les favelas de Rio de Janeiro sont considérées par les pouvoirs publics comme des réserves foncières qu’ils mobilisent activement aujourd’hui afin d’y réaliser une multitude d’aménagements urbains pour préparer la ville à accueillir ces évènements sportifs. La favela Metro est ainsi passée sous le bulldozer afin de réaliser un parking pour le Maracanã, à la place de la Vila Autodromo on verra bientôt s’édifier le Centre des médias et d’entraînement olympique, la Vila Harmonia va disparaître au profit de l’élargissement d’une avenue…

Seules des favelas qui bénéficient d’une association d’habitants puissantes ont des chances de se maintenir.

Dans le cas de la favela Vila Autodromo, située á Barra da Tijuca, le spectre de l’expulsion elle connait déjà. Lors de la préparation des Jeux Panaméricains de 2007, elle était déjà menacée d’extinction par un projet qui avait finalement avorté. Aujourd’hui, pour rendre sa démolition possible, par décision de la chambre des députés la favela n’est plus considérée comme une « Zone de Spécial Intérêt Social » et ne peut donc plus faire l’objet de travaux d’urbanisation ou d’efforts de régularisation foncière. L’activisme associatif des habitants de la favela, porté par le président de l’association des habitants[1], a contraint la Préfecture de Rio de Janeiro à entamé des négociations. Le projet est aujourd’hui suspendu pour vice de procédure, car il a été élaboré sans consultation préalable des habitants concernés. Les habitants s’opposent fermement à tout projet de relogement.

Les favelas, qui ne bénéficient pas d’une union forte, échappent difficilement au tractopelle, comme la Vila Harmonia, la favela Metro ou encore Restinga qui ont été évacuées par la force. La décision unilatérale des pouvoirs publics et les moyens utilisés rappellent l’époque dictatoriale pendant laquelle la junte militaire a mené une politique d’éradication des favelas des zones nobles de la ville de Rio (article à venir bientôt en ligne sur le blog).

Le récit de la destruction d’une favela de Guaratiba a été relaté sur le site http://favela.info. Il nous renseigne sur les moyens de pression utilisés par les pouvoirs publics, l’autoritarisme des décisions et la rapidité des démolitions afin d’éviter tout recours des habitants.

Un projet d’élargissement de l’avenue des Amériques prévoit la démolition d’environ 200 habitations de la favela. Lors d’une réunion d’information organisée par la préfecture de Rio, les habitants ont été conduits à Cosmos, à 5 kilomètres de chez-eux pour visiter les logements  de 35 m² proposés. Dans un discours enflammé, le vice préfet de la zone ouest fit comprendre aux habitants que s’ils n’acceptaient pas les clés de leur logement sur le champ, ils finiraient dans la rue, les démolitions étant prévues pour les jours à venir.

Ils avaient beaucoup de papiers. On ne savait même pas quoi signer. Ils mettaient beaucoup de pression sur nous, disant que les tracteurs viendraient tout démolir. Où est ce que j’irai vivre ? Sous un Pont ?

Denilsa[2]

Un vent de panique souffla sur les habitants, 190 personnes, sur les 200 présentes,  acceptèrent de signer les papiers sur le champ et durent déménager deux jours plus tard. Lors des déménagements, les tractopelles étaient déjà là pour démolir les habitations sitôt vidées.

Des pressions psychologiques sont exercées sur les personnes ayant osé résister : toutes les maisons environnantes sont détruites ainsi que les réseaux d’eau, d’assainissement et d’électricité, de plus, ils reçoivent quotidiennement la visite d’agents de la préfecture les sommant de quitter leur habitation.

Tous les jours des travailleurs venaient au pas de ma porte avec un tracteur… Ils ont détruit les maisons qui se trouvaient de chaque côté de la mienne… ils ont fait un circuit autour de ma maison avec le tracteur. Le tractopelle avec son bras métallique allait de bas en haut à la porte de ma maison.

(…)

Lorsque le gouvernement municipal vient, ce n’est jamais une seule personne mais une multitude de personnes qui tente de t’intimider. Le sous-préfet régional a dit qu’il viendrait avec la troupe du « Choc de l’Ordre » pour vider ma maison et tout casser. J’ai écouté cela trois ou quatre fois ; il est venu personnellement dans ma maison pour me menacer.

(…)

Je ne pouvais pas aller travailler. Je courrais le risque de rentrer à la maison et trouver ma maison détruite. Ma femme allait travailler, ma fille allait à l’école et je restais pour surveiller ma maison… La peur était si grande que l’on ne pouvait rien laisser sans surveillance.

Fernando da Silva Matos

Avec le soutien du Bureau de la Défense Publique, 10 familles ont ainsi résisté au déménagement dans les appartements de Cosmos, contre une indemnité financière leur permettant d’acheter une autre maison dans la partie de la favela non concernée par le projet d’élargissement de la voirie.

Leurs efforts n’ont pas été vains car ils ont finalement obtenu des indemnités, allant de 35 000 à 70 000 réais, qu’ils ont acceptées, bien qu’elles soient largement inferieures à la valeur de leurs biens immobiliers. Ces compensations ont servi aux habitants à la construction d’une nouvelle maison dans les environs.

Les animaux étant interdits dans les nouveaux immeubles, les habitants ont dû abandonner des dizaines d’animaux de compagnie dans la favela. Fernando a désormais huit chiens et quatre chats.

Les habitants ayant accepté de vivre dans les nouveaux appartements ont rencontré des difficultés pour scolariser leurs enfants et s’accommodent mal de la vie en immeuble collectif. De plus, la région dans laquelle ils résident est soumise au contrôle d’une milice qu’ils doivent payer tous les mois.

Le Plan Directeur n’exclut pas le relogement des familles déplacées loin de leur lieu d’origine. C’est ainsi que les habitants de la favela du Sambodromo[3], située dans le centre de Rio, se sont vus proposer des nouveaux logements dans le quartier de Campo Grande, éloigné de 45 kilomètres du centre ville.

Ce qu’ils sont en train de faire ce sont des crimes. Des crimes oui. Ils font des travaux, et encore des travaux pour que les gens de l’extérieur viennent. (…) Mais ils se préoccupent très peu des classes populaires. Ils sont en train de réaliser l’urbanisation de la ville dont nous sommes les déchets, déchets qu’ils jettent sous le tapis pour que personne ne voit. Nous n’avons pas les conditions de vivre dans le centre de la ville. Aucun projet ne nous permet de vivre dans le centre de la ville. Les pauvres ne peuvent qu’aller vivre loin. C’est exclure le pauvre de la société.

Habitante de la favela du Sambodromo[4]

En effet, cette politique de destruction ne prévoit pas la construction de logements sociaux dans les zones centrales de la ville. Les pouvoirs publics participent ainsi activement á l’accentuation du phénomène de ségrégation sociale du territoire carioca.

[1]  Le président de l’association d’habitants de la Vila Autodromo a été expulsé de sa baraque de la favela Praia do Pinto,  dans les années 60, déplacé á la Citée de Dieu il a dû de nouveau quitter les lieux suite à la construction de la route Linha Amarela.

[2] « Despejos forçados em Guaratiba » sur le Blog FavelaInfo: http://favela.info/?p=1875

[3] La favela du Sambodromo est menacée d’extinction en raison des travaux d’agrandissement du Sambodrôme, avenue bordée de gradins, construite par O. Niemeyer, elle accueille le défilé des Ecoles de Samba lors du carnaval. Le Sambodrôme accueillera également des épreuves olympiques en 2016.

[4] Reportage réalisé par le Journal A Nova Democracia. Vidéo en ligne sur youtube: http://www.youtube.com/watch?v=cS2wM530s2g&feature=player_embedded*

La vie sur la colline


Vivre sur la colline c’est pouvoir profiter des plus belles vues de Rio de Janeiro, motif de fierté pour les habitants de Cantagalo. Plus on prend de la hauteur, plus la vue est magnifique. Ce sont ainsi les habitants de la partie haute de la colline de Cantagalo et du Pavão qui ont une vue panoramique sur la baie de Guanabara. Ce sont ces mêmes habitants qui ont le plus de marches à gravir  et de chemins à monter pour arriver à leur domicile !

C’est aussi jouir de la fraîcheur des vents marins pendant les étés tropicaux très chauds et humides aux températures pouvant dépasser les 40 degrés. Ces courants d’air sont appréciés sauf en hiver où, à l’inverse, ils sont redoutés.

Vivre sur la colline c’est également avoir la possibilité de cultiver un petit jardin.

Avec l’accroissement démographique de la favela, ils sont de plus en plus rares, néanmoins certaines familles ont conservé un arpent de terre pour y faire pousser des arbres fruitiers : manguiers, avocatiers, bananiers… La végétation sur le morro a cependant un défaut, celui d’attirer les moustiques. Depuis 1986, Rio est touché par des cas d’épidémies de dengue[1].

La dengue est une infection virale qui entraine classiquement fièvre, mal de tête, douleurs musculaires et articulaires, fatigue, nausées, vomissements et éruption cutanée. (…) Il existe des formes hémorragiques ou avec syndrome de choc, rares et sévères, pouvant entraîner la mort.[2]

Wikipedia

Ainsi, habiter la colline c’est s’exposer à un risque plus élevé de contamination par la dengue.

Suite au déboisement, à l’extrême densification du sol, l’absence de travaux de soutènement et à la précarité des fondations des habitations, les populations sont menacées par des glissements de terrains. Les cas d’éboulement sont très fréquents à Rio, ils surviennent au moment des fortes pluies estivales.  Pour Alzira Barros, le président de l’association des habitants de Pavão-Pavãozinho, les inondations de 1984 ont causé la pire tragédie de l’histoire de la favela.

Ce furent deux vagues d’éboulement successives. Je me souviens des personnes désespérées demandant des draps et serviettes pour recouvrir les victimes. Lorsque que nous aidions les victimes du premier éboulement, j’ai vu le second éboulement[3].

Alzira Barros

A cette époque le réservoir d’eau situé sur les hauteurs du morro de Cantagalo, à mi chemin entre la favela du Pavão et celle de Pavãozinho, céda et dévala la colline en emportant avec lui toutes les baraques sur son passage. Cet épisode traumatisant a marqué les esprits.

Les pluies d’été sont toujours redoutées par les habitants des morros favelisés.

Cantagalo dans les années 80: un territoire enclavé


La favela de Cantagalo est certes trés visible, du fait qu’elle soit située sur une colline, mais elle n’en est pas pour autant facile d’accès. Les programme d’urbanisation des favelas développés pas les pouvoirs publics à partir des années 80, vont tenter de désenclaver ces territoires en créant de nouvelles entrées. Nous allons décrire ici la situation urbaine de Cantagalao dans Rio à la veille des interventions des pouvoirs publics.

La principale rue, qui dessert la colline est la rue Saint Roman qui n’est accessible que depuis la rue Sa Ferreira à Copacabana et la rue Antonio Parreiras à Ipanema.  Cette rue et son espace environnant jouent un rôle de transition entre la réalité de la ville formelle et celle de la favela. On y trouve de nombreux commerces populaires et vendeurs ambulants ainsi qu’une certaine agitation proche de celle de la favela.

Initialement, la rue Saint Roman était habitée par de riches familles qui y occupaient de grandes maisons bourgeoises.  Avec le développement des favelas de Cantagalo, Pavão et Pavãozinho ces maisons ont perdu peu à peu de leur valeur immobilière et l’espace s’est très rapidement dégradé.

Je suis sortie de là en 2001. La montée par Copacabana était impraticable et celle par Ipanema commençait déjà à devenir dangereuse. Il manquait beaucoup de lumière en raison des nombreux réseaux clandestins et aussi des tirs des trafiquants sur les transformateurs de la rue afin de pouvoir échapper aux policiers dans l’obscurité. Je ne sais pas comment cela a pu devenir aujourd’hui…[1]Fernanda Fonseca

Ce message laissé par une internaute, à la suite de la publication d’une photo d’anciens habitants de la rue Saint Roman, témoigne de ce phénomène de dégradation que peuvent avoir les favelas sur leur environnement urbain.

De nombreuses maisons ont été ainsi cédées par leurs propriétaires à différentes œuvres caritatives, afin de bénéficier d’avantages fiscaux, avance un autre internaute.

Dans les années 80, la favela de Cantagalo n’est accessible qu’à pied. Son entrée la plus ancienne est située au 200 rue Saint Roman, dans le quartier de Copacabana. C’est d’ailleurs l’adresse officielle de chaque habitation sur la colline encore aujourd’hui. La favela est également accessible depuis Ipanema au niveau de la rue Barão da Torre et de la rue Alberto Compas. Les passages depuis Ipanema sont les plus éprouvants en raison des nombreuses marches qu’il faut monter. Quelque soit le chemin emprunté, la subida do morro (montée de la colline) est toujours une épreuve physique en soit. 


Cantagalo au cœur des quartiers les plus valorisés de la zone sud de Rio de Janeiro


Au cœur de la zone sud de Rio de Janeiro, la favela de Cantagalo se situe entre les quartiers huppés d’Ipanema et de Copacabana. Le contraste entre la favela et les quartiers chics de la zone sud se présente ici de façon violente et malsaine. Le phénomène de « Proximité spatiale et distance sociale » décrit par Chamboredon et Lemaire[1] est ici poussé à l’extrême.

Cette photo de la rue Raul Pompeia à Copacabana illustre bien ce phénomène : des immeubles collectifs de standing côtoient les bicoques entassées à flanc de colline de la favela du Pavão, voisine de Cantagalo. 

Pour les habitants de Cantagalo, habiter la zone sud, c’est jouir de nombreux de ses avantages comme :

  • la proximité des régions dynamiques de la ville et de leurs possibilités d’emploi
  • le service de transport en commun plus développé que dans la périphérie
  • une abondance de commerces et services
  • la proximité de l’océan,  avec la plage de Copacabana et d’Ipanema et de la lagune
Les habitants de Cantagalo peuvent ainsi profiter d’un cadre de vie de qualité qui n’a rien à envier aux faubourgs moroses de la ville de Rio de Janeiro.

Les quartiers de Copacabana et d’Ipanema sont des quartiers essentiellement résidentiels et commerçants. L’offre commerciale est plus développée et diversifiée dans le quartier de Copacabana (commerces de proximité, galeries commerciales, grandes surfaces), où elle s’adresse également aux classes populaires, à l’inverse d’Ipanema, qui vise essentiellement un public aisé.

Les plages  et la lagune sont, pour les habitants de Cantagalo, des lieux de détente, mais surtout des lieux de travail. Ils y exercent les professions de vendeur ambulant de boissons fraiches, snacks, noix de cajou, maillots de bain, pastèques ou de loueurs de parasols et chaises de plage, au service des cariocas et des touristes venus se prélasser sur la plage.

Cette photo représente trois figures emblématiques du vendeur ambulant sur les plages cariocas :

  • le vendeur de « Mate e Limão » (Maté : thé glacé à base de maté ; limonade) et ses deux réservoirs métalliques
  • le vendeur de biscuits Globo
  • le vendeur de boissons fraîches avec sa glacière de polystyrène et un sac plastique pour récupérer les cannettes usagères

La proximité des zones centrales de Rio permet aux habitants de Cantagalo de réduire leurs frais de transport. Néanmoins, l’offre commerciale destinée aux classes populaires y est plus réduite. Les habitants ont ainsi moins de choix dans les achats de tous les jours.


[1] Chamboredon Jean-Claude, Lemaire Madeleine. « Proximité spatiale et distance sociale. Les grands ensembles et leur peuplement ». In: Revue française de sociologie. 1970, 11-1. pp. 3-33.

How to integrate the favelas of Rio de Janeiro in the formal city? Authorities’responses and their consequences on the life conditions of its habitants – Case study: favela of Cantagalo


HOW TO INTEGRATE THE FAVELAS OF RIO DE JANEIRO IN THE FORMAL CITY?
AUTHORITIES’RESPONSES AND THEIR CONSEQUENCES ON THE LIFE CONDITIONS OF ITS HABITANTS
CASE STUDY: THE FAVELA OF CANTAGALO
Author
Soumia El Ghazouani
Advisors
Guy Chemla and Mauro Kleiman

The urban landscape of the city of Rio de Janeiro is a reflection of a Brazilian society deeply unequal in a social and spatial point of view. A century of lack of governmental concern led to the multiplication and consolidation of the favelas in the carioca city. Given to the failure of the favela’s policy of eradication and the relocation of its habitants in isolated and poor quality collective buildings during the military dictatorship, the authorities are working on favela´s urbanization and legalization. Since the 80’s, various programs have emerged as well: PROFACE and « Every family a lot » (1982-1987), « Favela Neighborhood » (1994-2010), the « Program of Accelerated Growth » (since 2007), the « Program of Pacification « (since 2009), and «Living Carioca» (since 2010), according to different administrative levels: the municipality, the federal state and the nation. These efforts have been intensified due to the holding of the Football World Cup  (2014) and  Olympic Games (2016)  in Rio de Janeiro. Through an empirical investigation in the favela of Cantagalo, we observed that these actions improved living conditions of people in the favela, but because of a lack of ambition of authorities and insufficient means, the favela is still not fully integrated in the formal city. The pacification, led by the state of Rio, had the most impact on the favela: it is the source of major advances of the formal sphere, an economic boom and a real estate speculation. These phenomena are accentuated in the favelas located in rich neighborhoods like Cantagalo. Public policies gave birth to « Favelas Chic » in the noble area of Rio de Janeiro, « Favelas Popular Neighborhoods » and “Precarious Neighborhoods with Collective Buildings” in the suburb.

Key words: favela, informal settlement, urbanization of informal settlements, land regularization, pacification, slums, Rio de Janeiro, Favela Bairro, Morar Carioca, PAC, Cantagalo.

Paris
Octobre 2011

Comment intégrer les favelas de Rio de Janeiro a la ville formelle ? Les réponses des pouvoirs publics et leurs conséquences sur la vie de ses habitants – Etude de cas : la favela de Cantagalo



RÉSUMÉ

COMMENT INTÉGRER LES FAVELAS DE RIO DE JANEIRO A LA VILLE FORMELLE ?

LES REPONSES DES POUVOIRS PUBLICS ET LEURS CONSEQUENCES SUR LES CONDITIONS DE VIE DE SES HABITANTS

ETUDE DE CAS : LA FAVELA DE CANTAGALO 

Auteur

Soumia El Ghazouani

Directeurs

Guy Chemla et Mauro Kleiman

Le paysage urbain de la ville de Rio de Janeiro est à l’image de la société brésilienne : profondément inégalitaire d’un point de vue social et spatial. Un siècle d’ingérence des pouvoirs publics a conduit à la multiplication et à la consolidation des favelas dans la ville de Rio de Janeiro. Face à l’échec de la politique d’éradication des favelas et de relogement dans des grands ensemble isolés et de mauvaise qualité entreprise lors de la dictature militaire, les pouvoirs publics s’efforcent, d’urbaniser et de légaliser les favelas. Depuis les années 80, différents programmes ont ainsi vu le jour : PROFACE et « Chaque Famille un Lot » (1982-1987),  « Favela Quartier » (1994-2010), le « Programme d’Accélération de la Croissance » (depuis 2007), le « Programme de Pacification » (depuis 2009), « Vivre Carioca » (depuis 2010) qui mettent en jeux différents acteurs à divers niveaux administratifs : la municipalité, l’Etat fédéré et la nation. Ces efforts se sont intensifiés en raison de la tenue de la Coupe du Monde de Football en 2014 et des Jeux Olympiques en 2016 à Rio de Janeiro. Une étude empirique de la favela de Cantagalo nous a permis de constater que ces différentes actions ont abouti à une amélioration des conditions de vie des habitants dans la favela, mais que le manque d’ambition des pouvoirs publics et l’insuffisance des moyens employés n’ont pas permis de les intégrer totalement à la ville formelle. La politique de pacification, menée par l’Etat de Rio, a eu le plus d’impact sur la favela. Elle est à l’origine d’avancées majeures de la sphère formelle, d’un boom économique et d’une spéculation immobilière. Ces différents phénomènes sont accentués dans les favelas situées dans les quartiers valorisés de la ville. Les politiques publiques ont eu pour effet de créer des « Favelas Chiques » dans les zones nobles de la ville, des « Favelas Quartiers Populaires» et des « Grands Ensembles Précaires » dans les faubourgs.

Mots clés : favela, quartier informel, urbanisation de quartiers informels, régularisation foncière, pacification, Rio de Janeiro, Favela Bairro, Morar Carioca, PAC, Cantagalo

Paris
Octobre 2011

Cantagalo, une favela au cœur des attractions touristiques de la ville de Rio


[« Cantagalo, une favela au cœur des attractions touristiques de la ville de Rio » est le premier article d’une série à trois volets permettant de localiser la favela de Cantagalo. ]

Rio de Janeiro est la ville la plus visitée du Brésil avec pour principales attractions: la plage de Copacabana, le Pain de Sucre, le Corcovado et le Carnaval.

La favela de Cantagalo se trouve à proximité de différents lieux mythiques ayant une renommée internationale : la plage et promenade de Copacabana et le Copacabana Palace Hôtel. La colline de Cantagalo est visible depuis les différents spots touristiques et s’inscrit ainsi dans le décor des cartes postales de la ville de Rio.

La favela et son mythe d’origine selon Licia Valladares


Le terme favela vient de « faveleiro » qui est le nom populaire du Jatropha Phyllacantha, un grand arbuste de la famille des euphorbiacées, aux fleurs claires, fruits foncés et semences oléagineuses. On rencontre cette plante dans le Sertão mais également dans l’Etat de São Paulo. L’origine du mot favela est intimement liée à la Guerre de Canudos de 1897  qui a entrainé la destruction, dans le sang, du village de Canudos dans le Sertão. Le tout jeune gouvernement républicain avait envoyé à l’époque une troupe de militaires armés afin d’écraser  la secte à caractère religieux menée par le charismatique Antonio Conselheiro (« Antonio, le Conseiller »)  qu’il considérait comme royaliste.

De retour dans la capitale, confrontées à l’absence de logements, les troupes installèrent un campement sur le Morro (colline) de Providencia dans le centre de Rio de Janeiro. Les soldats rebaptisèrent le lieu « Morro da Favella » en référence à la colline du même nom où était établi le village des « frondeurs ». La colline de Canudos portait ce nom en raison des « faveleiros » qui y poussaient. Dès le début du XXe siècle, le Morro da Favella fait l’objet de nombreux articles de journaux décrivant le lieu comme repère de criminels, déserteurs de l’armée, voleurs et prostitués. Le terme « favella » sera plus tard utilisé pour désigner un phénomène urbain nouveau, celui de l’occupation des collines de la ville par des populations pauvres, il perdra un « l » au passage.

Pour Licia Valladares[1] , la Guerre de Canudos constitue le mythe fondateur de la favela. En effet, tous les auteurs se réfèrent à cet épisode historique pour expliquer la formation des favelas à Rio de Janeiro. Ce mythe d’origine n’est pas uniquement le fruit d’une référence historique ou géographique selon elle, il s’appuie sur le récit de cette bataille relatée dans le livre de Euclides da Cunha, Os Sertões (1902), un best-seller à l’époque. Les images véhiculées par cet ouvrage auraient permis aux intellectuels de comprendre et interpréter ce phénomène urbain nouveau qu’est alors la favela. Licia Valladares se réfère à de nombreuses analogies entre les récits de journalistes et intellectuels de l’époque et le livre d’Euclides da Cunha.

J’avais, moi, de ce lieu, l’idée que des ouvriers pauvres s’y regroupaient dans l’attente d’un logement et j’eus l’envie d’accompagner les musiciens […] La colline était comme toutes les autres collines. Un chemin large et en mauvais état permettait de découvrir une vue de plus en plus vaste, sur la ville illuminée […]. Je les accompagnais donc et me suis retrouvée dans un autre monde. Plus de lumière. Nous étions en pleine campagne, dans le sertão, loin de la ville. Le chemin qui descendait en serpentant était tantôt étroit, tantôt large, mais toujours plein de creux et de bosses. De chaque côté, se trouvaient des maisons petites et étriquées, faites de planches de récupération, et entourées de clôtures délimitant des jardins potagers. La descente allait être difficile…

« Os livres acampamentos da miséria » dans Vida Vertiginosa, 1911. (P : 51-52.)


[1] Valladares Licia. La Favela d’un siècle à l’autre. Mythe d’origine, discours scientifiques et représentations virtuelles. Editions MSH, 2006.